L’Analyse Transactionnelle (AT), fondée par Éric Berne dans les années 1950, est un puissant outil psychologique qui aide à comprendre les comportements humains et les interactions sociales. Elle propose un cadre pour analyser les transactions — ces échanges de communication entre les individus — et offre une grille de lecture pour interpréter les crises personnelles, familiales et sociales. À travers cet article, je vais explorer le sens de la crise en m’appuyant sur quelques concepts clés de l’AT.
Les États du Moi et la crise
L’AT divise la personnalité en trois États du Moi : Parent, Adulte et Enfant. Ces États du Moi influencent la manière dont nous réagissons à une crise.
L’État du Moi Parent peut se manifester en deux formes : le Parent Critique et le Parent Nourricier. Dans une crise, le Parent Critique tend à juger sévèrement, soit soi-même, soit les autres, tandis que le Parent Nourricier, bien que protecteur, peut devenir étouffant. Par exemple, dans une crise familiale, un parent pourrait activer son Parent Critique en reprochant à un adolescent ses choix de vie, aggravant ainsi les tensions. C’est le cas d’un père qui réprimande son enfant pour ses mauvaises notes, activant une spirale de jugement et de colère.
L’État du Moi Enfant se divise en Enfant Libre et Enfant Adapté. L’Enfant Libre réagit aux crises avec spontanéité, souvent par des comportements rebelles, tandis que l’Enfant Adapté peut se conformer aux attentes, voire se soumettre. Par exemple, un adolescent en crise pourrait adopter un comportement de rébellion (Enfant Libre) face à l’autorité parentale, ou à l’inverse, se retirer dans un mode Enfant Soumis, incapable de s’exprimer.
L’État du Moi Adulte est la part rationnelle qui permet de faire face aux crises avec calme et logique. C’est l’État du Moi idéal à activer lors d’une crise, car il aide à prendre du recul, à analyser la situation et à prendre des décisions éclairées. Comme l’explique Éric Berne dans Transactional Analysis in Psychotherapy (1961), c’est l’activation de l’Adulte qui permet à l’individu de se reconnecter à la réalité et d’éviter des réactions purement émotionnelles.
Les Transactions et la crise
Les Transactions sont les échanges entre les États du Moi de différentes personnes. Une transaction complémentaire, où les États du Moi interagissent de manière cohérente, facilite la résolution d’une crise. Par exemple, un Parent Nourricier répondant à un Enfant Adapté permet une interaction bienveillante et stabilisante.
Cependant, une transaction croisée se produit lorsque les attentes ne sont pas satisfaites, ce qui peut intensifier la crise. Prenons l’exemple d’Angèle, 18 ans, dont les parents adoptent un Parent Critique tandis qu’elle réagit par un Enfant Libre. Cette dynamique transactionnelle croisée amplifie la crise, les parents critiquant et l’adolescente se rebellant. Cette situation peut dégénérer si aucun des participants ne quitte son rôle.
Pour résoudre une crise, il est crucial de restaurer des transactions complémentaires en adoptant une position Adulte-Adulte, ce qui permet une communication plus équilibrée et compréhensive. Par exemple, un parent confronté à un adolescent rebelle peut, au lieu de réagir par la critique, prendre un moment pour activer son Moi Adulte et engager une discussion rationnelle, sans jugement.
Les Jeux Psychologiques en temps de crise
Les Jeux Psychologiques, concept central de l’Analyse Transactionnelle selon Berne, sont des interactions répétitives et inconscientes qui se jouent autour de rôles fixes : Victime, Persécuteur et Sauveur. Ces rôles forment ce qu’on appelle le triangle dramatique de Stephen Karpman (1968). Lors d’une crise, ces jeux peuvent se manifester de manière intense, prolongeant ou aggravant la situation conflictuelle.
Par exemple, dans une famille traversant une crise, une mère peut endosser le rôle de Sauveur en tentant constamment de résoudre les conflits entre ses enfants (jouant les rôles de Victime et Persécuteur à tour de rôle). Elle peut accumuler du ressentiment lorsqu’elle se rend compte que ses efforts ne sont pas appréciés, et basculer alors dans le rôle de Persécuteur, reprochant à ses enfants leur ingratitude. Cela peut pousser un enfant à se repositionner en Victime, maintenant le cycle destructeur du jeu.
Ces jeux psychologiques s’appliquent également dans un contexte professionnel. Imaginez un employé qui, en difficulté avec son travail, se pose en Victime. Son supérieur, jouant le Sauveur, intervient pour prendre en charge certaines de ses responsabilités, mais après un certain temps, il finit par se sentir exploité et adopte le rôle de Persécuteur, reprochant à l’employé son manque d’effort. Ce dernier, se sentant injustement critiqué, renforce alors son rôle de Victime, nourrissant un cycle sans issue.
La force des Jeux Psychologiques est qu’ils sont alimentés par des dynamiques inconscientes. Chaque participant y trouve un « bénéfice caché », qui souvent n’est pas constructif : la Victime se sent légitimée dans sa faiblesse, le Sauveur renforce son image de bienveillance, et le Persécuteur justifie son autorité.
Pour sortir de ces jeux, Berne préconise de s’extraire de ces rôles inconscients et d’adopter une position Adulte-Adulte. Cela demande de reconnaître les schémas destructeurs et de refuser de jouer ces rôles, en favorisant une communication transparente et des interactions équilibrées. Prenons l’exemple d’une famille où, au lieu d’endosser systématiquement le rôle de Sauveur, les parents apprennent à déléguer les responsabilités et à permettre à leurs enfants de trouver eux-mêmes des solutions à leurs conflits. Cette dynamique permet de passer de relations basées sur la dépendance à des échanges plus matures et responsables.
De manière similaire, dans un environnement professionnel, un supérieur pourrait cesser de jouer le Sauveur en clarifiant les attentes et en responsabilisant l’employé, tout en offrant un soutien équilibré. Cela permet de restaurer une transaction saine et de sortir du triangle dramatique.
Les Positions de Vie et la crise
L’AT propose quatre Positions de Vie qui représentent la manière dont nous percevons nos relations avec les autres :
- Je suis OK, tu es OK : position équilibrée et saine.
- Je suis OK, tu n’es pas OK : position de supériorité.
- Je ne suis pas OK, tu es OK : position d’infériorité.
- Je ne suis pas OK, tu n’es pas OK : position dépressive.
Une personne en crise peut souvent se trouver dans une position « Je ne suis pas OK, tu es OK », se sentant inférieure et incapable de surmonter la situation. C’est souvent le cas des crises personnelles, comme le burnout ou la dépression, où l’individu perd confiance en ses capacités et se sent impuissant. Par exemple, une personne en burnout peut se retrouver dans une spirale de dévalorisation, percevant les autres comme plus capables ou en contrôle.
Pour traverser une crise de manière constructive, l’objectif est de revenir à une position de vie « Je suis OK, tu es OK », où chacun se reconnaît comme valable et capable. Cette position permet d’aborder les crises avec plus de sérénité et de clarté. En adoptant une telle posture, l’individu apprend à reconnaître ses propres forces tout en respectant celles des autres, ce qui facilite un dialogue ouvert et respectueux.
Conclusion : l’AT, une voie vers la reconstruction
L’Analyse Transactionnelle nous offre des outils précieux pour comprendre et surmonter les crises. Plutôt que de les percevoir uniquement comme des ruptures, les crises deviennent des occasions de :
- Rétablir des transactions plus saines et constructives ;
- Rééquilibrer les États du Moi, en activant davantage l’État du Moi Adulte ;
- Sortir des Jeux Psychologiques, en refusant les rôles de Victime, Persécuteur et Sauveur ;
- Adopter une position de vie OK/OK, permettant un dialogue respectueux et équilibré.
Ainsi, en comprenant les dynamiques sous-jacentes des crises à travers l’AT, nous pouvons transformer ces moments difficiles en opportunités de croissance personnelle et relationnelle. L’AT nous apprend que, même dans la tourmente, il est possible de trouver des moyens pour se reconstruire, se redéfinir et renforcer les liens avec ceux qui nous entourent.